Ainsi s'achève l'année universitaire 2019/2020 à l'école d'Art et de Design de Marseille...
Publié le 11 Juin 2020
55 jours de confinement, notre école fermée jusqu'à la rentrée prochaine, 3 mois de crise sanitaire, des mails, beaucoup de mails, des visio-conférences, des appels téléphoniques, un suivi pédagogique en constante ré-organisation, des écrans partagés, des réseaux qui rament soudainement, ou qui plantent parfois, tous les sens en alerte pour essayer de comprendre ce qui nous arrive... Et puis deux semaines de commissions pédagogiques pour valider les années, étudier chaque cas, chaque étudiant, trouver la meilleur solution, rattraper les crédits qui manquent, ne léser personne, aider quand on doute, peser le pour et le contre, accompagner ceux qui prendront le temps de refaire une année, longtemps discuter. Tout cela seul face à l'écran, si loin et si proche des étudiants.
Une énorme frustration de ne pas voir sortir les prototypes des ateliers, de ne pas voir les projets finis, de ne pas voir les accrochages des travaux et les soutenances devant les jurys, le moment où tout est convoqué pour faire sens, où le stress finit le travail. Pas d'applaudissement à l'annonce des mentions.
Il y eut à la place de cela : un énorme travail de fourmi pour tout bien mesurer, un travail de détective pour essayer de retrouver nos jeunes dans des situations parfois compliquées, à soutenir ceux qui en avaient besoin. Beaucoup d'échanges finalement sur un coin de bureau, à l'écran et quelques beaux moments humains, de partage et de pédagogie
Les diplômes DNSEP grade de Master sont validés et quel plaisir de lire leurs mémoires. Merci Luc pour ton document à double entrée entre le corps et le bijou. Merci Blanche quand tu nous encourages à "respirer, souffler". Souhaitons qu'Anaïs réveille effectivement le Coven. Merci Maëllia pour les voyages, la terre, les gens photographiés et la quête du territoire. Merci d'avoir souvent cité Alvar Aalto. Delphine pour le plaisir et le droit d'écrire comme elle sait bien le faire maintenant. C'est aussi rassurant de savoir qu'Estelle s'occupe des ruines et de la mémoire. Beaux documents même pour ceux qui parlent de "Mystagogie". Belle promotion de master qui sort ainsi à la pointe de cette curieuse époque. Merci à tous.
Et puis il y a les diplômes DNA grade de Licence. La rédaction des rapports de diplôme a rempli généreusement toutes les vacances à Pâques puis bien au delà. Combien de relectures pour Léa ? Quel chemin pour Lucie qui nous a promené dans ses espaces urbains préférés ? Une progression fulgurante à force de travail, de rédaction. Combien d'aller retour pour maîtriser tous les détails de ce petit document ? Le confinement fut finalement salutaire pour poser les éléments, prendre le recul, affirmer les pistes, chercher des références. Des perspectives commencent à se dessiner pour certains et cela dans tous les sens du terme. De belles hypothèses pour poursuivre en année 4, aller en Erasmus si le virus le permet.
Et pour finir il y eut les nombreuses cartes postales demandées aux étudiants de l'année 1 dans le cadre du module "apprentissage du regard" reformulé par Christopher Cook et Frédéric London comme des cartes de voyageurs immobilisés à partir de pays dé-confinés, rêvés, imaginés.
"Un monde à portée de main", fut mon livre de chevet, choisi au hasard avant le confinement. Il a judicieusement accompagné cet étrange moment. Une pure dédicace à mes étudiants à travers Paula Karst qui est l’héroïne de ce roman de Maylis de Kérangal. J'y ai senti l'odeur de la térébenthine de nos ateliers, J'y ai retrouvé nos discussion sur le réel, la copie, la création, l'appréhension du monde, la relation à la technique, le contemporain et l'histoire. C'est léger mais rudement bien composé.
Ce livre, ces expériences en distanciel, la difficulté de cette crise sanitaire, la nécessité de réagir, la nécessité d'attendre, d'écouter, le silence furent autant d'occasion pour moi de vérifier qu'au delà du Design, j'ai toujours la passion de l'enseignement et de la transmission. Mon énergie se renouvelle sans cesse quand je sens que chaque singularité se développe vers l'autonomie. Je sais pourquoi je fais ce métier, au moins je sais pour qui.
"Paula se souvient de la grande verrière de la rue du Métal, de la luminosité particulière de l'atelier et alors, Jonas apparaît, la gueule de Rembrandt, le regard clandestin, la peau d'iguane, la prunelle d'un noir bleuté, le blanc de l'oeil aux reflets de perle, les cernes de cendre." À vingt ans, Paula entre dans le prestigieux Institut de peinture de Bruxelles. Elle y apprend à copier les surfaces qui composent le monde, à donner l'illusion des matières vivantes. Les nuits blanches s'enchaînent, les sentiments tournoient. Des studios de cinéma de Cinecittà, à Rome, au fac-similé de la grotte de Lascaux, elle s'immerge dans le travail. Sous son pinceau, les images enchevêtrent le passé et le présent, le loin et le proche, la fiction et la vie. Si Paula veut comprendre le monde qu'elle peint, il lui faudra d'abord le saisir de ses mains.